Hack the DSA : une journée collaborative au service de la transparence numérique
Le 3 octobre, la Chaire sur la modération des contenus a réuni plusieurs dizaines d’experts du règlement sur les services numériques (DSA) pour l’atelier « Hack the DSA ». Leur défi ? Se plonger dans l’analyse et déchiffrer les rapports et les données publiés dans le cadre du DSA. Leur objectif ? Formuler des propositions concrètes pour rendre les pratiques numériques des plateformes plus compréhensibles et plus responsables.
Pourquoi ce hackathon ?
Le règlement sur les services numériques (DSA) introduit plus de 80 obligations de transparence impliquant la publication de divers documents : rapports de transparence, rapports sur les risques systémiques, rapports d’audit, rapports des régulateurs et des organismes de règlements des litiges extrajudiciaires, … Cette grande quantité d’informations constitue une avancée notable pour mieux comprendre les pratiques des plateformes, notamment sur la modération des contenus. Mais, cela soulève aussi d’autres enjeux : comment rendre ces données comparables, compréhensibles et réellement utiles ?
C’est à partir de ce constat que l’atelier a été organisé. Le but fut d’explorer collectivement ces documents, de comprendre et d’analyser leur contenu, de comparer les différentes approches et méthodologies, d’identifier les bonnes et mauvaises pratiques, pour ensuite formuler des recommandations.
Parmi les points forts de la journée, nous saluons une forte mobilisation avec le déplacement d’une trentaine de personnes venues de différents pays d’Europe. De plus, la diversité des profils représentés (chercheurs, juristes, représentants d’associations, des régulateurs et experts du numérique) a permis des enrichissements respectifs et une confrontation de points de vue. Cette richesse interdisciplinaire a été un véritable moteur de créativité et d’apprentissage mutuel salué par l’ensemble des participants.
Cette initiative s’inscrit aussi dans la lignée des recommandations du rapport “Putting Collective Intelligence to the Enforcement of the DSA”, qui encourage les collaborations avec la société civile, notamment via l’organisation d’évènements collaboratifs.

Une journée placée sous le signe de la collaboration
S’inspirant du format des hackathons informatiques, l’atelier a été construit pour favoriser le travail collectif et la circulation de connaissances au sein de petits groupes. La journée a débuté par un brainstorming commun où les participant.e.s ont pu se rencontrer, échanger, croiser leurs idées avant de choisir leurs sujets et constituer leurs équipes. Ensuite, les participant.e.s ont travaillé par équipes sur différentes thématiques, dans une atmosphère à la fois appliquée et enthousiaste. À la fin de la journée, les équipes ont présenté le fruit de leurs travaux à l’occasion des restitutions devant un jury composé de Camille Grenier (directeur exécutif du Forum sur l’information et la Démocratie), Lucie Ronfaut (journaliste et autrice spécialisée sur les nouvelles technologies) et Sébastien Lécou (directeur adjoint à la direction des études de l’économique et de la prospective à l’Arcom).
Synthèse des travaux et recommandations clés : les enseignements de la journée
Les participant.e.s se sont répartis en cinq équipes, chacune traitant d’un aspect différent du DSA :
- l’inter-transparence (les analyses croisées entre différents documents publiés),
- l’archivage des données et des rapports,
- la publicité politique en ligne,
- les rapports sur les risques systémiques, et
- le rôle des régulateurs.

Les principales analyses et recommandations des cinq équipes
« Inter-transparence » : et si les rapports parlaient enfin la même langue ?
- Constat : les multiples rapports et les données issus du DSA sont éparpillés et trop hétérogènes.
- Problème : ces divergences rendent impossibles le croisement, la comparaison et l’analyse des données des plateformes et des différentes parties prenantes.
- Propositions et recommandations : créer une base de données collaborative reposant sur une standardisation minimale et des métriques partagées qui permettrait de faciliter l’analyse transversale des données, renforcer la cohérence entre les données et favoriser la coopération entre les parties prenantes.
L’archivage des rapports : comment garantir la mémoire du DSA ?
- Constat : l’accès aux rapports des plateformes est fastidieux et incertain, ces documents sont souvent publiés dans des formats inadaptés, difficiles à exploiter ou qui ne permettent pas d’être facilement comparés dans le temps.
- Problème : sans archivage pérenne, la transparence promise par le DSA reste partielle et fragile.
- Propositions et recommandations : archiver les rapports des plateformes et en notifier les modifications dans le temps. Les plateformes doivent publier des rapports dans un format lisible par machine ; il faut créer des archives ouvertes garantissant l'intégrité, la traçabilité et la comparabilité ; et il faut encourager les régulateurs et la société civile à enrichir ces bases de données partagées.
Cette équipe a présenté l’archivage des rapports sur les risques systémiques en utilisant l’outil Open Terms Archive (revoir notre Lunch & Learn sur Open Terms Archive).

Comment faire pour en finir avec l’opacité de la publicité politique ?
- Constat : des plateformes comme Meta ou Google suppriment ou étiquettent mal certains contenus ayant un caractère politique.
- Problème : il existe un manque de transparence et de traçabilité en matière de publicités politiques en ligne.
- Propositions et recommandations : renforcer l’archivage et améliorer l’étiquetage de ces publicités à tous les niveaux. La société civile doit archiver et signaler les contenus mal identifiés autant qu’elle le peut. Les régulateurs doivent redéfinir des critères d’étiquetage clairs et communs à toutes les plateformes. Les plateformes doivent s’assurer du respect du règlement relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique (règlement n° 2024/900, souvent abrévié par TTPA).
Les rapports sur les risques systémiques : la nécessité d’aller vers plus de clarté et moins de jargon
- Constat : la plupart des rapports publiés par les très grands services restent opaques, autopromotionnels et difficilement comparables malgré quelques efforts isolés.
- Problème : ce manque de lisibilité, de transparence et de standardisation affaiblit la portée et l’intérêt de ces rapports, pourtant essentiels pour évaluer les risques systémiques présents sur les grands services numériques.
- Propositions et recommandations : améliorer le fond et la forme de ces documents. Pour cela, il faut harmoniser la structure et les catégories ; simplifier la rédaction ; publier davantage de données sources et ajouter le détail des méthodes d’évaluation utilisée. Il faut également inciter la Commission européenne à être plus active dans le contrôle des services et sanctionner les manquements.
Les régulateurs nationaux : harmoniser pour mieux réguler
- Constat : les coordinateurs pour les services numériques (DSCs) ne disposent pas tous des mêmes moyens ni du même niveau d’expertise dans les États membres.
- Problème : ces différences entre les régulateurs entraînent un manque d’uniformité, de coordination et de surveillance des grandes plateformes à l’échelle européenne.
- Propositions et recommandations : harmoniser le fonctionnement des DSCs, créer un registre européen des signaleurs de confiance pour garantir leur indépendance, ainsi qu’un suivi public des plaintes pour plus de transparence. Mettre en place un programme “DSA Bug Bounty”, inspiré des pratiques de la cybersécurité, afin de rendre le DSA plus participatif et efficace.
Après les présentations détaillées et les délibérations, le jury a salué l’ensemble des travaux. Il a décerné la première place au groupe sur l’inter-transparence, la deuxième place à l’équipe ayant archivé les rapports sur les risques systémiques et la troisième place à celle consacrée aux publicités politiques en ligne. Le jury a surtout relevé la qualité des productions réalisées en seulement une journée de travail, soulignant à quel point les résultats de l’ensemble des équipes étaient très enrichissants et utiles pour toute la communauté.
Et maintenant ?
L’atelier « Hack the DSA » a montré qu’une variété d’acteurs peuvent collaborer efficacement pour rendre intelligibles les données et les rapports publiés dans le cadre du DSA. En croisant leurs expertises, les participant.e.s sont parvenu.e.s à développer une lecture critique et collective de la mise en œuvre de ce texte. La richesse des sujets qui ont été traités confirme l’importance et l’utilité de ce type d’évènements et souligne les besoins d’analyses encore nombreux qui ressortent de la mise en œuvre du règlement. Pour les prochaines éditions, il pourrait être intéressant de concentrer les efforts sur un thème plus ciblé afin d’approfondir certaines problématiques spécifiques. L’évènement a galvanisé les participants, marquant, nous l’espérons, le début d’une coopération renforcée entre chercheurs, régulateurs et associations.
Vous pouvez retrouver ci-dessous les présentations des cinq équipes.