Notes de conférences - Les influenceurs et le Droit
Le 1er mars 2024, la conférence intitulée « Les influenceurs et le Droit » a offert une mise en perspective des enjeux légaux liés à l’influence commerciale dans le contexte de la loi française adoptée le 9 juin 2023 sur le sujet.
En introduction, Monsieur Emmanuel Netter a exprimé sa déception face à la loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Selon lui, ce texte a été conçu en réaction à une demande de l’opinion publique à la suite du scandale des « influvoleurs » mais ne répond pas à un réel besoin juridique. En effet, les autorités administratives indépendantes telles que l’Arcom ou la CNIL ainsi que les administrations comme la DGCCRF auraient pu se contenter de faire évoluer leurs pratiques afin de prendre en compte ces activités via l’application du droit de la consommation ou du droit de la publicité. En outre, le projet de loi sur l’influence commerciale n’apporte pas l’éclairage nécessaire aux acteurs du milieu concernant les nouvelles règles applicables car le texte est essentiellement composé d’exemples et de renvois (les articles 2 et 3 de cette loi illustrent parfaitement ce problème), ce qui rend le texte difficilement accessible et peu intelligible.
Approche transversale de l'influence commerciale
La suite de la matinée a été consacrée à une analyse transversale de la notion d’influence commerciale au sein des lois françaises, européennes et internationales. Les intervenants ont passé en revue les interactions entre la loi française et les textes préexistants afin de tenter d’exposer le régime légal auquel sont soumis les influenceurs. Si la plupart des intervenants se sont entendus sur le fait que la loi française sur les influenceurs a permis une prise de conscience des acteurs concernés qui pensaient, à tort, que leurs activités s’inscrivaient dans un vide juridique, les intervenants ont également souligné le faible impact juridique de cette loi. En effet, les limites de ce texte se manifestent dans le cadre du droit français ainsi que dans les difficultés d’application du droit international privé. Pour le droit français d’abord, les articles L121-1 et suivants du code de la consommation définissent déjà les pratiques commerciales déloyales et trompeuses, lesquelles couvrent indirectement les activités des influenceurs. Pour le droit international privé ensuite, selon Monsieur Samuel Fulli-Lemaire, certaines dispositions de la loi sur l’influence commerciale manquent de clarté : par exemple, le paragraphe 5 de l’article 8 de la loi prévoit que le contrat liant un influenceur à une entreprise est soumis au droit français dès lors que le contenu produit par l’influenceur « vise » un public français. Cependant, le terme « viser » n’est pas défini, rendant l’application de cette disposition complexe.
La régulation de l’influence commerciale au niveau européen a ensuite été étudiée par Monsieur Thibault Douville. Le DSA (Digital Services Act, ou règlement sur les services numériques) prévoit en effet que les États membres sont libres de définir ce qui relève du domaine de l’illicite pour les contenus. De ce fait, le législateur français a toute latitude pour créer de nouvelles catégories de contenus illicites, pouvant notamment inclure les pratiques d’influence commerciale douteuses. Pourtant, la loi française sur l’influence commerciale a été plus loin puisqu’elle a imposé des obligations aux fournisseurs de services en ligne et contrevient donc au DSA. À titre d’exemple, son article 10 dispose que les fournisseurs de services en ligne doivent créer des outils permettant aux utilisateurs de signaler les contenus illégaux, une mesure déjà présente à l’article 16 du DSA. De la même manière, l’article 15 de la loi sur l’influence commerciale prévoit la mise en place d’un « protocole d’engagements » par les plateformes en ligne afin de permettre une collaboration plus efficace avec les autorités nationales. Dès lors que ces matières sont déjà traitées dans le DSA, ces règles du droit français ne sont pas conformes au droit européen dans la mesure où les États membres ne sont pas autorisés à légiférer sur les matières déjà réglementées ni à reproduire des dispositions européennes existantes, comme l’a rappelé Monsieur Douville. De plus, la loi sur l’influence commerciale ne respecte pas le principe de contrôle par l’État membre d’établissement issu de la directive sur le commerce électronique et repris dans le DSA. D’après ce principe, un fournisseur de services en ligne est uniquement supervisé par l’État membre dans lequel son établissement principal se trouve. Or, la loi sur l’influence commerciale habilite les autorités françaises à réguler les fournisseurs de service en ligne, quel que soit leur État d’établissement. En réaction à ces manquements, les autorités françaises ont préparé un projet de loi, confiant au Gouvernement le soin de prendre les mesures nécessaires par voie d’ordonnance.
Approche thématique de l'influence commerciale
Par la suite, la place de l’influence commerciale dans le droit a été examinée à travers un prisme thématique. Au cours des différentes présentations, le rôle des plateformes, les interactions entre « influence et finance » et entre « influence et famille » ont été explorés. Parmi les intervenants, les représentants de l'Arcom et de l'ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) ont mis en avant les dispositifs visant à améliorer les pratiques liées à l’influence commerciale. L’Arcom, Coordinateur pour les services numériques français pour la mise en œuvre du DSA, recueillera les signalements des utilisateurs et sanctionnera les fournisseurs de services en ligne en cas de manquement à leurs obligations. L’ARPP, quant à elle, est une association qui joue un rôle différent : en tant qu’organisme de déontologie, elle octroie des « certificats de l’influence responsable » qui attestent du niveau d’éthique et des connaissances juridiques des récipiendaires. De manière générale, les intervenants ont souligné l’importance que revêt la régulation de l’influence commerciale tout en exprimant leur déception par rapport au contenu de la loi sur ce sujet. Par exemple, le législateur aurait ignoré l’enjeu des enfants influenceurs au moment de la rédaction du texte, alors que de nombreuses questions se posent à leur égard : comment vérifier leurs conditions de travail ? Comment juger si un contenu est illicite car néfaste pour l’image de l’enfant influenceur ? Comment s’assurer que les revenus générés par des activités d’influence commerciale reviendront bien à l’enfant influenceur ? Autant de questions laissées sans réponse dans cette loi.
Au sujet du rôle des plateformes, Madame Lucile Petit, directrice des plateformes en ligne à l’Arcom, a détaillé le changement de paradigme que représente le DSA : à présent, les plateformes en ligne sont directement régulées par les autorités nationales et par la Commission européenne. À titre d’illustration, les VLOPs (très grandes plateformes en ligne) et les VLOSEs (très grands moteurs de recherche en ligne) sont maintenant tenus de procéder à une évaluation des risques systémiques liés à l’usage de leurs services (article 34 du DSA), puis de mettre en place des mesures adaptées afin d’atténuer ces risques (article 35 du DSA). La prolifération de contenus illégaux, notamment de contenus liés à des pratiques commerciales trompeuses, pourrait constituer un risque systémique a noté Madame Petit. De fait, les pratiques illégales dans le cadre l’influence commerciale présentent de nombreux dangers pour les utilisateurs tels que la promotion de produits contrefaits ou dangereux (comme les « remèdes » liés à la médecine alternative) et les risques d’escroquerie. Ces affirmations ont toutefois été pondérées par Monsieur Nicolas Fruhinsholz, conseiller juridique chez YouTube, qui considère que pour les activités d’influence commerciale, la seule obligation de la plateforme est de mettre à disposition un mécanisme pour que les créateurs puissent signaler leurs communications commerciales. En effet, si les plateformes doivent endiguer la propagation de contenus « manifestement illicites » (article 23 du DSA), le caractère illicite d’une communication commerciale peut être difficile à déterminer : l’influenceur a-t-il signé un contrat avec une entreprise ? A-t-il été rémunéré ? Ainsi, pour le représentant de YouTube, il serait plus efficace de laisser la DGCCRF enquêter sur ces pratiques plutôt que de demander aux plateformes de modérer les contenus associés dans le cadre de l’atténuation d’un risque systémique. Il est intéressant de noter que cela donnerait également l’occasion aux plateformes d’échapper à leur responsabilité de modérer de tels contenus, en leur reconnaissant seulement le rôle de fournir un outil permettant aux influenceurs de se mettre en conformité.
Cette conférence a mis en lumière les défis juridiques entourant la régulation de l'influence commerciale en France, notamment le conflit larvé entre les législateurs français et européen.